http://www.tetu.com/2013/03/07/news/ni-fille-ni-garcon-ils-sont-de-genre-inconnu/
Ni fille, ni garçon, ils sont «de genre inconnu»
«C’est une fille ou un garçon?» demande-t-on toujours à la naissance. Pourtant, il arrive que certains ne se reconnaissent dans aucune de ces deux catégories. Pour TÊTUE, ils témoignent.
La langue française s’accordant soit au masculin, soit au féminin, nous avons utilisé les pronoms choisis par nos interlocuteurs. Dans leur citation, nous respectons leur demande de « neutralité », en écrivant, par exemple, « étonnéE » ou « étonné.e ».
Vincent «cherche l’embrouille», selon son expression. Crâne rasé, chemise bien boutonnée, il sème le doute (photo ci-dessus). Autour de lui, les gens s’interrogent, est-ce un homme, une femme? Né, ou «assigné» fille, il se définit aujourd’hui comme FtU, ou «female to unknown», de femme vers inconnu. Pas vraiment fille, mais pas garçon non plus, et vice-versa, il fait partie de ces «agenres» qui veulent se détacher de ces étiquettes qui ne leur correspondent pas. Si le mouvement transgenre a pu bénéficier de la visibilité médiatique de certains trans tels que Chaz Bono, Lana Wachowski, il ne faudrait pas oublier ceux qui décident de… ne pas décider.
L’importance d’internet
Co-fondateur du Gat,
organisation à quatre têtes trans aux actions perçues comme radicales,
et aujourd’hui dissoute, Vincent se questionne sur son genre dès
l’adolescence, bien avant de s’interroger sur son orientation sexuelle. Binder
dès 13 ans, il veut alors devenir un homme et fréquente les milieux
trans. « »Butch » ne me plaisait pas, je ne me reconnaissais pas en
elles, et être trans m’a fait trop peur» explique-t-il. Ceux qu’il
côtoyait reproduisaient une forme de division hommes/femmes. «Je croyais
que transitionner allait m’ouvrir des perspectives, mais passer de
fille à garçon, c’était remplacer une aliénation par une autre»,
raconte-t-il aujourd’hui, en ayant à cœur de préciser qu’il respecte
tout à fait le positionnement de ceux qui choisissent de passer d’un
genre à l’autre.
Pour Vincent comme pour d’autres FtU, la démocratisation d’internet dans les années 2000, l’arrivée du mouvement queer en France et la création d’assos trans ont été salvateurs. Quand Lô (photo ci-dessous), 23 ans, commence à aller dans des ateliers autour de la transidentité à Rennes, en les découvrant par hasard sur le net, les «unknowns» étaient un sujet peu connu. Ce qui l’a aidé, c’est d’écrire dans son blog, créé en août 2011. Avec ce journal «extime», où l’on suit le cheminement de sa pensée, il sent qu’il n’est pas tout seul, que d’autres se questionnent aussi. C’est un moyen de se réinventer aussi, d’être enfin celui qu’il veut être. Sur le net, Lô a pu cocher en toute liberté la case «M» sur son profil de blog – à défaut d’un autre choix – et n’a eu aucun problème à faire accepter son nouveau prénom Lô, qui est un prénom suédois et… neutre.
«Je ne suis pas une fille»
Etre non-genré, ça
veut dire quoi pour lui? «Je dirais que c’est quelqu’un qui se sent
détaché des questions de société qui ne reposent que sur la bipolarité
homme/femme. Ça me passe au-dessus, ce sont des propos qui n’ont aucune
légitimité.» Comme un spectateur dans un monde dont il se sent exclu.
C’est seulement au printemps dernier qu’il a réussi à mettre des mots
sur son ressenti. A l’adolescence, il s’est d’abord défini comme
lesbienne. «J’étais perturbé quand j’ai su que je préférais les filles,
je me suis dit que c’était juste une orientation sexuelle, sans chercher
à comprendre mon mal-être inqualifiable». Mais finalement, le fait de
se dire «je ne suis pas une fille» a été facile pour lui.
Enfant déjà, il parlait de lui au masculin sans s’en rendre compte avant qu’un prof de français ne le pousse à se corriger. «C’est après que ça se complique», se souvient celui qui compare le fait de vouloir vivre dans monde sans pression de genre à celui de vouloir vivre sans religion à une époque où être athée était inconcevable. «Je rejetais une certaine vision de la féminité, je n’avais pas envie d’être »élégante », de porter des jupes, je me réfugiais derrière les survêts’, se souvient-il. Maintenant j’accepte beaucoup plus ma part féminine. Je n’ai jamais porté autant de talons que depuis que je me définis comme FtU. Ça dédiabolise les genres.» Aujourd’hui, dans les magasins, il se balade autant dans les rayons homme que femme.
Coquetterie et stars de la K Pop
C’est la
découverte d’un univers plutôt particulier qui l’a aidé à s’accepter, et
à se réinventer: celui de la KPop, ou pop coréenne pour les novices.
Véritable sous-culture en Asie, cette musique a beaucoup d’adeptes aussi
en France. Les boys bands asiatiques y affichent une masculinité très
différente de celle commune en Occident: les hommes n’hésitent pas à se
laisser pousser les cheveux, à se maquiller ou à porter des vêtements
cintrés.
Lô a été plus que séduit par cet univers. «Là-bas, il n’y a pas les même stéréotypes masculins qu’ici. C’est l’image de la masculinité que je me projette moi, que je préfère. Autant dans le physique que dans le comportement. Ils ne sont pas bodybuildés mais imberbes, propres sur eux.» Selon lui, si la société coréenne reste très binaire, dans la jeune génération, les garçons peuvent se permettre plus de coquetterie. Quelles stars de la K Pop aime-t-il plus particulièrement? «G Dragon, un grand chanteur coréen, ou Ren des Nu’EST, ils représentent l’androgynie pure. Une telle liberté… c’est une chance!»
«On a un problème sémantique!»
La maîtrise du
langage est une donnée essentielle de la subversion de genre, et se
«nommer» comme on l’entend, la première action politique. Bigenre,
queer, trans, genderbenders… Le mouvement queer n’est pas avare de mots
et c’est cette profusion qui exprime au mieux cette volonté de ne rien
figer, d’être en mouvement permanent.
«On a un problème sémantique!», sourit Aurélie.n, étudiant à Sciences-Po Paris, qui préfère écrire son nom de cette manière pour qu’on puisse le lire au féminin comme au masculin. A l’écrit, comme bien des agenres, il accorde ses phrases au «neutre» en utilisant le même procédé. «Je pourrais dire que je suis agenre. Ou plutôt transqueer.» Mais à vrai dire, ça lui est égal… «La revendication est déjà assez forte en elle-même. Je me décris plus que je me nomme.»
«Injonction à se genrer»
Naïel,
photographe, a choisi «FtU». «Ce qui m’intéressait dans cet anglicisme,
c’était de montrer l’assignation forcée à un sexe/genre à la naissance,
et l’injonction à se genrer qui la précède, et le mouvement vers un
devenir… sans point fixe à atteindre, car je ne connais pas ce point et
que nous sommes en permanence en changement.»
Et son prénom? «Il est le fruit de la contraction de Nat-il/el. C’est un prénom construit, politique et choisi, comme peut l’être cette foutue binarité des sexes et des genres que l’on pense « naturelle » et qui régit notre société. Il n’y a pas de nature dans ce système binaire, seulement des constructions sociales, politiques, culturelles… qui divisent en deux l’humanité afin de légitimer l’hétérosexualité obligatoire, et donc le sexisme l’oppression d’une catégorie par une autre, les normes… et toutes les discriminations et violences qui s’exercent sur des personnes ditEs A/NormalEs», s’énerve-t-Naïel, qui tient à utiliser un E majuscule pour que les mots soient dégenrés. Contrer ce système binaire, c’est aussi choisir d’utiliser «yel» et non «il» ou «elle» pour parler de soi.
Quels pronoms?
D’autres n’optent pas pour des
prénoms neutres. C’est le cas de Vincent, qui, en choisissant ce prénom,
se libère d’une double pression, celle qu’un prénom féminin induit et
celle de son origine asiatique. Un moyen aussi d’incarner visuellement
cette mise au bûcher du genre: sur sa carte d’identité s’affiche
fièrement «Vincent, sexe: F». Et si certains accordent leur vie au
masculin, en utilisant le pronom «il» pour parler de soi, c’est «par
défaut» dit Lô, parce que dans la langue et la société françaises
actuelles, il renvoie toujours au neutre. «A la poste, quand on me dit
« bonjour madame », je ne peux pas les reprendre, et dire « non,
Monsieur », ce serait faux et difficile à demander vu mon passing (chez
les trans, le fait d’être perçu comme appartenant au genre auquel ils
s’identifient, ndlr) actuel. J’aimerais dire « un bonjour suffit »»,
dit-il.
Là où la langue bute, Justin Vivian Bond l’a contournée. Cet artiste américain aperçu dans l’étonnant film Shortbus a choisi une autre voie, celle de la lettre «v» (prononcer «vi» en anglais), à la place de «il » ou «elle». Le «v» donc «illustre visuellement la position de mon genre, à savoir deux côtés égaux qui se rejoignent au milieu».
Réinventer les corps
Comme ils réinventent la
grammaire, les queers, et ici les unknowns, réinventent le corps, qui
devient un «laboratoire de la réalité», comme dirait Beatriz Preciado
dans Testo Junkie. L’objectif de Lô: des hormones, une
mastectomie et une hystérectomie. En attendant, il porte des binders.
«Je me vois mal comme ça toute ma vie, avec cette répartition des
graisses. Ce n’est pas pour autant que je veux un corps d’homme
stéréotypé, j’ai une autre vision de la masculinité et certains aspects
de mon idéal ne sont possible qu’avec la testostérone.» Et s’il avait
une baguette magique, choisirait-il un corps tout à fait masculin? «Je
m’en fous royalement, je ne ferai pas de parcours de transition
classique. Comme la place du masculin dans la société me correspond plus
que celle du féminin, parce qu’il faut bien choisir, je transitionne.
Mais la phalloplastie et la métaidoplastie ne m’intéressent pas car
elles sont beaucoup trop intimes et inutiles pour moi», affirme-t-il.
«L’androgynie est la maison que j’ai choisi», explique Vincent, qui a lui-même pris des hormones et effectué une torsoplastie. Il avait besoin d’incarner sur le plan chimique et biologique cette discordance. Car «Frankenstein est palpable» dit-il, revendiquant cette figure du monstre, du «freak», créé par l’homme. «La société m’a crééE, elle a créé tous les rejetons, les trans, les intersexes. Ils n’ont pas de places alors ils créent les identités multiples, des territoires de résistance. C’est formidable! Je me ferais chier si je n’étais pas trans…»
Voyage initiatique à San Francisco
Aurélie.n,
lui, n’a pas tenté d’avoir une apparence androgyne. Entre sa coupe
courte et ses habits masculins, de prime abord rien ne semble présager
qu’il se questionne sur son genre. «J’ai un corps biologiquement
masculin, qui me plait et me convient, mais je suis socialement
considéré.e comme une femme. Je me vois à la fois comme un peu homme et
un peu femme, je ne me pose pas souvent la question… Ce qui est fou,
c’est que les autres disent, « tu es une vraie femme, regarde comme tu
marches »», souligne-t-il. Ni homme, ni femme, il vogue confortablement
quelque part entre les deux. «Je ne me retrouve pas dans la mode gay,
l’importance des corps sculptés qui témoigne d’une certaine
homonormativité. Je n’y retrouve pas la diversité, les corps plus
pulpeux comme le mien. Quand tu es très différent, trop vieux ou trop
gros, tu es exclu de cet univers-là.»
C’est à San Francisco, lieu de toutes les subversions queer, qu’il est passé d’un militantisme gay «classique» à d’autres réflexions identitaires. «J’y ai rencontré des gens qui revendiquaient deux genres, ou pas de genre du tout: toute une galaxie de constructions identitaires», raconte-t-il. De quoi faire réfléchir et donner des «clés d’interprétation» à celui qui avait du mal à trouver sa place plus jeune. «J’étais exclu.e du groupe des garçons. Je n’aimais pas le foot, pas la bagarre, je n’étais pas assez garçon. On me traitait de gay alors que je ne me considérais même pas encore comme tel. Et j’étais tout aussi exclu.e des groupes de filles, qui en arrivaient toujours à avoir des « secrets de filles »», se souvient-il. Si aujourd’hui il est à l’aise avec son (non)genre, il ne s’interdit rien: demain il pourrait se penser garçon, ou fille, ou… La grande leçon des agenres, c’est que l’identité n’est jamais figée.
Photo Naïel: Naïel.
Photos: DR.