
Borders
identitieS
Aux
marges des identitéS
Le
concept d'identité, qui s'est largement répandu, voire
« déversé » , depuis une trentaine d'années
dans les espaces médiatiques et les analyses socio-politiques, vient
essentiellement des luttes des minorités pour revendiquer leur
reconnaissance et leurs spécificités (avec notamment la naissance
des Black Panthers en 1966) en opposition à LA norme qui n'avait pas
à se nommer et en retour à la violence faite aux minorités par les
régimes politiques (légitimée par cette norme). C'est ce que je
nommerai identitéS collectives politiques.
Mais
l'identité, a d’abord été un un concept psychologique notamment
avec Erik Erikson, psychanalyste, qui dès
les années 30 et parce qu'il va être amené à côtoyer des
anthropologues comme Abram Kardiner ou Margaret Mead, va jouer un
rôle essentiel dans sa circulation. Ce même Erik
Erikson va définir l'identité de l'individu.e comme un «
sentiment subjectif et tonique d'une unité personnelle et d'une
continuité personnelle » ( 1972).
Freud,
pour sa part, décrira l'identité d'un.e individu.e comme une
construction caractérisée par des discontinuités et des conflits
entre les différences instances ( le mois, le ça, le surmoi..).
La
sociologie, elle, s’intéressera à définir et à analyser les
interactions entre:
L'identité personnelle, qui serait «
subjective » et qui comprendrait la consciente de soi et la
représentation de soi, avec 3 caractéristiques:la constance,
l'unité et la reconnaissance du même.
Une identité sociale qui serait « objective »
et qui comprendrait tout ce qui permet d'identifier de l'extérieur
( groupes d'appartenance divers, sous-groupes) et qui comprendrait
les attributs des différentes catégories sociales où se rangent
les individu.e.s. Ces identités sociales sont le plus souvent
assignées ou prescrites.
Aujourd'hui,
il est difficile de passer une journée sans qu'on nous demande notre
identité, sa justification ( les papiers d'identité,notre
« fonction sociale », notre sexualité...) et qu'on nous
assigne des identités sociales en permanence en fonction des
lectures qu'on peut faire de nous et des codes d'un régime politique
hétéronormé, sexiste, xénophobe, raciste, validiste....
D'autres
part , on utilise aussi la notion d’identité pour parler
d'identité nationale et construire le corps blanc, hétérosexuel,
mâle, viril, jeune..et valide qui viendra grossir le corps de la
Nation.
Dans
le langage tout-venant , l'identité est ce qui est censé nous
constituer comme être unifié, stable, fixe et qui permet de
dessiner en creux les troubles de l'identité. Ce qui construit des
identités saines et des identités pathologiques et donc du normal
et de l'a/normal ( quand on sait comment la fabrique du sain et du
pathologique a été notamment construite par le corps médical au
siècle des lumières, on peut se poser des questions quant à ces
concepts et leur pseudo neutralité scientifique!).
La
notion d'identitéS collectives politiques est pertinente et permet
des luttes essentielles, mais comme a pu le montrer, entre autre le
black feminism,les luttes identitaires ont leur limites quand elles
se construisent sur une identité fixée à l origine, immuable et
auquel le sujet-identitéS doit se conformer au nom de LA lutte ( le
black feminism a mis à jour le fait que le féminisme américain
était le fait de femmes blanches, bourgeoises, hétérosexuelles,
qui occultaient et invisibilisaient les question de classe, de
racisation, de genre et parlaient au nom de LA FEMME universelle. Ce
qui dans la logique de régimes politiques post- coloniaux permet à
certain.e.s de savoir mieux que les personnes concernées, comment
les libérer ( la question du voile , en (f)rance, relève de ce
régime post-colonial))..
Le
sujet de cette exposition est au cœur de tous ces questionnement et
impasses autour de la notion d’identité, telle qu'elle est pensée
aujourd'hui, créant des frontières ( les sans-papièrEs vous en
parleront mieux que moi) imperméables, fixes, toujours binaires, qui
séparent et divisent au sein même des luttes.
Une
des principales questions est : comment créer un sujet politique
pertinent qui ne soit pas basé sur l' identité qui le définirait
comme fixe, immuable, homogène, mais qui se créerait au fur et à
mesure des luttes, se modifierait et en retour viendrait modifier
le sujet politique , les luttes et les individu.e.s qui les
constituent? Dépasser les identités collectives pour parler en
terme de sujet politique, tout en ne niant pas l'existence
d'identitéS collectives construites historiquement, tel pourrait
être un des enjeux de la possibilité des luttes post-identitaires.
Cette
exposition « parle « plus précisément de « comment
un.e individu.e vit, existe, résiste sans se faire
« homogénéiser », tout en participant à des luttes?
Et comment, en retour, les identitéS collectives , agissent sur
l'individu.e?
Quels espaces/temps restent-ils à ces sujets qui sont
dans les marges ( du genre, de la validité, …)? »
Les identités créant des cloisons peu perméables ,
les marges, qui sont des lieux où devraient se créer des pratiques
et des vies d'empowerment, peuvent parfois ressembler aux chambres
capitonnées des HP …
Tout
ceci se passe bien loin des des théories universitaires queers et/ou
post-identitaires, ce sont des vies de personnes au quotidien...
« Comment
exister quand les luttes auxquelles on participe portent, dans leurs
fondements, le cout de notre invisibilisation? »
« Comment
s'empowermenter seul.e? »
Je
terminerai par cet extrait d'un poème d' Henri MICHAUX ( «
Face aux verrous », 1967):
(...)Signes des dix mille façons d'être en équilibre
dans ce monde mouvant
qui se rit de l'adaptation
Signes surtout pour retirer son être du
piège de la langue des autres
faite pour gagner contre vous, comme une
roulette bien réglée
qui ne vous laisse que quelques coups
heureux
et la ruine et la défaite pour finir
qui y étaient inscrites
pour vous, comme pour tous, à l'avance
Signes non pour retour en arrière
mais pour mieux « passer la ligne » à
chaque
instant
Signes non comme on copie
mais comme on pilote
ou, fonçant inconsciemment, comme on est
piloté
Signes , non pour être complet, non pour
conjuguer
mais pour être fidèle à son « transitoire »
Signes pour retrouver le don des langues
la sienne au moins, que, sinon soi, qui la
parlera?(...)
(...)Faute d'aura , au moins éparpillons nos
effluves.
Naïel, juillet 2013