Présentation
de l'exposition « Destroy genders or Fucking genders:
pour une société non binaire »
31
mars 2009, dans le cadre du cours
alternatif « Langage, Pouvoir et Idéologies »
animé par Luca Greco (ILPGA-Paris III)
19,
rue des bernardins, 75005 Paris
présentation
de moi:
Je m'appelle Naïel,
je suis photographe féministE
,militantE, Queer, et plein d'autres choses...:)Mais je suis, avant
tout unE individuE qui par moments utilise la photographie comme
moyen d'expression et de résistance...
Je ne saurai rentrer dans
aucune case, identité fixe qui me constituerait comme
sujet...je “suis” post identitaire...
Je peux, dans un souci de
luttes et de visibilité, revendiquer certaines identités
politiques comme identité non binaire et mouvante, AssignéE
Female To Unknow...
“not a girl”, "not
a boy”,just an another “gender”,transgenre, genderqueer, pédéE,
gouinE...
Naïel
Naïel n'est pas le
prénom qui m'a été assigné à la
naissance, je l'ai construit comme je construis mon corps, ma
personne quotidiennement en tentant de déconstruire les normes
qui m'ont faitE advenir en tant que sujet.
[ texte :
pourquoi changer de prénom et pourquoi Naïel?
Naïel
est un prénom construit et politique. Il est le fruit de la
contraction de Nat-il/el qui est un prénom construit et
choisi, comme peut l'être cette p… de binarité des
sexes et des genres qu'on pense "naturelle" et qui régit
notre société. Naïel est là pour vous
rappeler qu'il n'y a pas de nature dans ce système binaire
seulement des constructions sociales, politiques, culturelles...qui
divisent en deux l’humanité afin de légitimer le
sexisme , l’oppression d’une catégorie par une autre, les
« Normes »…et toutes les discriminations et
violences qui s’exercent sur des personnes dites a/normales.]
FéministE?
De quoi parle-t-on?
Quand je dis je suis
FéministE , je me dois d'expliquer ce qu'est pour moi le
féminisme, parmi tous les féminismes existants. Et pour
cela je ne peux pas parler de ma vison du féminisme sans
parler du genre....
[Je
tiens d'abord à préciser que le genre n'est pas, pour
moi, la construction sociale du sexe biologique ( le genre est un
concept créé dans les années 50 aux États
Unis par Stoller et Money, deux psychiatres et psychologues
travaillant sur le “transexualisme”
et la réassignation des enfants intersexuéEs.).
Le
genre préexiste au sexe et le produit en lui donnant
l'illusion du naturel ( tout en invisibilisant cette production).
C'est
un rapport social de pouvoir qui produit et entretient le système
hétéronormatif (2 genres, 2 sexes, relation
hétérosexuelle avec pour but la reproduction).
Dans
ce sens il fonde la société en tant qu'hétérosexuelle.(
cf Wittig)
En
tant que dispositif créé et au service du pouvoir
biopolitique , il est à détruire car il maintient
l'oppression d'une catégorie sur une autre, exerce un contrôle
permanent des individuEs via une grille de lecture normative qui
définit ce qui est “humain” de ce qui ne l'est pas. Il
exclut donc du domaine du “pensable” toute personne ne pouvant
être identifiée clairement par cette grille.
Le
genre (en tant que dispositif de régulation au service du
pouvoir) au même titre que le sexe n'a pas de caractère
naturel , rien ne préexiste à sa production.
Dans
ce sens , le féminisme a pour objectif final la destruction
du genre; ce qui ne veut pas dire qu'il faut ignorer ou nier la
réalité des catégories sociales de genre et leur
relations.]
Ma conception du féminisme
est donc matérialiste et « Wittigienne »
, dans ce sens « être féministE ,
c' est lutter pour les femmes en tant que classe et pour la
disparition de cette classe » ; alors que « pour
de nombreuses autres cela veut dire quelqu'une qui lutte pour la
femme et pour sa défense, pour le mythe donc et son
renforcement ».
Je me réfère
aussi au Black féminism et à Audrey Lorde : «Je
continuerai à combattre toutes les formes d'oppression.
Racisme, sexisme, homophobie.. personne n'est libre tant que
d'autres personnes sont opprimées. Brisons le silence»
qu'est ce pour
moi “se dire” queer?
Le terme queer , à l'origine veut dire bizarre et
c'est aussi une insulte homophobe. Réutiliser le mot queer
pour se désigner est une pratique de réappropriation et
de détournement du discours. Cette réappropriation
s'est faite dans la fin des années 80 aux EU, par des
militantEs en opposition aux revendications structurées et
normatives des gays et des lesbiennes , avec “un discours non
identitaire, anti assimilationniste, et ne s'en prenant plus
seulement à l'intolérance ou à l'hétérosexisme,
mais directement aux contraintes de la normalité.”
Pour moi, c'est une boite à outils qui me permet
de déconstruire , de re-penser le monde, une certaine histoire
, science “straight”, avec d'autres grilles d'analyses qui
croisent entre autres genre, race et classe...; qui re-situent et
redonnent la parole aux oppressions spécifiques
invisibilisées et aux sujets par l'Oppression dite
universelle écrite par des blanchEs, hétéroEs et
“bourgeoisEs ( CF Black féminism).Ces grilles de ce fait
sont toujours en mouvement , non fixes...
Les théories queer me permettent de me
dé-construire/ re-construire sans modèle et sans fin...
Leur réappropriation me permet de résister
tous les jours à l'intérieur du système
héténormatif, par des pratiques sur mon corps, sur mon
discours, ....
Le queer pour moi c'est aussi produire d'autres
“identités” mouvantes, non binaires, qui échappent
à toute définition, classification,
homogénéisation....Tout en gardant un œil critique au
sein de cette subversion afin de
ne pas ériger via ces “productions” de “genres”
“degenréEs”, de nouvelles normes, de nouvelles
injonctions....à une nouvelle norme identitaire “queer” ou
“freaks”
queer et identités:
Dire je suis queer
et aussi je suis une identité est un non sens /queer. Le queer
ne peut être identitaire , il est post identitaire. Par contre
il peut être une identité politique.
J'y reviendrai plus
tard.
Queer et féminismes:
On ne peut pas “se
dire queer”, si on n'est pas d'abord féministE/post-féministE.
( cf 1.b)
Présentation
du projet/ expo
présentation
express
Je tiens tout d'abord à préciser que cette
exposition n'est que la 4ème partie d'un projet plus
vaste...que vous pourrez lire..sur mon site
http://naiel.net/
Cette exposition n'est pas une exposition sur les trans
et les intersexes. Elle questionne le genre et « l'ordre
naturel des sexes », dans ce sens , elle nous concerne
toutEs.
Ce projet est né de ce constat personnel
récurrent:
« Dans
la rue, chez la boulangère, …j’ai souvent affaire au
monsieur, jeune homme ou madame, ce qui ne me dérange pas plus
que ça, ayant choisi de vivre dans une identité très
fluide et la langue française ne permettant pas de sortir de
cette binarité.
Ce qui me
frappe le plus , ce sont les excuses répétées de
ces « monsieurEs tout le monde » qui ne peuvent
accepter de rester dans le doute et vous réassignent de force
dans un genre normatif et binaire « naturellement".
Comme si une certaine ambigüité ne pouvait exister que
dans le personnel et non dans la sphère publique. Cette
oppression de la réassignation à deux genres immuables
qui ne me conviennent ni l’un ni l’autre est une violence
permanente , INVISIBLE et un Déni de toute « identité »
qui pourrait échapper au masculin et au féminin. C’est
une oppression de fait, sournoise car non formulée …car
naturelle…évidente…pour « le commun des
mortels ». Refuser ces normes, être visible dans des
« identités « plus fluides, moins
cadrées est aujourd’hui très difficile et ceci tout
aussi bien dans la société dite « straight »
que dans les milieux LGBT « straight » eux
aussi. »
présentation
“résumé” de l'exposition:
[Destroy Genders or Fucking Genders : pour une
société non binaire.
Male,
female ? Masculin, Féminin ?
Ce pseudo
« ordre naturel des choses » a-t-il encore un
sens ? N’y aurait –t-il pas autre chose au-delà du
genre, qui serait encore « impensable »,
car sans mots ?
En quoi la
binarité des genres et des sexes est un système
construit politiquement de contrôle des individuEs qui ne se
fonde sur aucune donnée « naturelle »
valable aujourd’hui ?
Pourquoi
certaines « identités » se
heurtent-elles de plein fouet à la binarité et ne
peuvent s’y épanouir ? Pourquoi cette violence ?
L’ordre Naturel des Choses serait-il le dernier tabou sans
lequel la société risquerait de se désagréger ?
Comment
certaines revendications transgenres et intersexes, sont,
aujourd’hui ce qui peut permettre de remettre en question ces vieux
fondements non naturels de notre société, du masculin
et du féminin ?
Ce
projet, par les portraits de 17 personnes, leur discours, …leurs
révoltes... essaye de dire « l’indicible » :
Comment
vivre dans des « identités » plus
fluides, moins rigides… ?
en
refusant l’assignation forcée au genre et au sexe.
en
militant pour le droit à l’autodéfinition de son
identité sans exclusion, psychiatrisation, pathologisation,
oppression…
en
remettant en question l’Ordre Naturel des genres et des sexes.
Naïel le 31 mars 2008]
la démarche
L'appel à volontaires a été
diffusé sur beaucoup de forums straight ou non straight ainsi
que sur des listes, il était important pour moi de ne pas
photographier que des personnes que je connaissais et familiarisées
aux questions de genre. J'ai également fait le choix de
n'exclure personne, ce qui explique que des choses étonnantes
peuvent se dégager de cette exposition. Celles- ci n'allant
pas forcément dans le sens de mon propos mais le parti pris
était de ne pas choisir les personnes en fonction de mes
objectifs et aussi de ne pas les assujettir à ma vision non
binaire du monde...ce projet a plus valeur de documentaire.
Le choix était vite fait entre aller chercher
mes « modèles » et leur faire dire ce
que je voulais et laisser chaque personne se sentant concernée
venir et essayer de montrer de manière assez libre son/ses
“identités “ de genre.
Chaque séance commençait par une longue
discussion, explication du schéma et il n'y a eu aucune pose
imposée , juste des ajustetements techniques. Ceci afin que
chaque personne se sente libre et parfois démunie de montrer
ce quelle souhaitait montrer d'elle.
Dans le même esprit de passer « d'un
discours sur »à “un discours de”, chaque
personne pouvait s'autodéfinir sur un schéma ( cf
schéma) , ainsi qu'expliquer par un texte comment elle se
positionne par rapport au binaire, au genre...
les schémas et textes sont datés et ne
prétendent en aucun cas définir une identité
fixe ( ce qui serait totalement en contradiction avec le queer)
d'une personne. Ce sont des instantanés à un moment
donné dans un espace donné, d'une parcelle de ce que
chaque personne a souhaité donner....
Explication du
schéma d'autoproclamation de « son genre »
et de ses rapports avec la binarité des sexes et des genres.
Pour pouvoir montrer les oppressions/révoltes que
provoque le système binaire je me suis trouvéE dans
l'obligation de créer un schéma qui parte du binaire.
Le sexe biologique:=
( pour moi) et pour simplifier , car je m'adresse à des
personnes qui ne connaissent pas toutes les variations chromosomiques
, hormonales, ....est égal au sexe qu'on vous colle sur vos
papiers à la naissance. Par exemple , j'ai mis pour moi une
croix sur l'axe 100% F
Cette donnée est croisée avec le sexe
phénotypique , pour en dégager des espaces
d'oppressions et de révoltes.
Le sexe
phénotypique: =
( pour moi) inclut les apparences que prennent le corps et là
je fais une entorse volontaire à la définition, en y
incluant la notion d'incorporation: à savoir: « le
corps est ce qui est incorporé ».
Ce qui plus simplement revient à prendre aussi en compte sa
visualisation de son corps, qu'on ait subi des modifications
corporelles ou pas, qu'on le veuille ou pas, idem pour les
hormonothérapies. Ce qui permet par exemple d'inclure des
personnes qui souhaiteraient une modif corporelle mais n'ont pas pu
le faire ou celles qui ne le souhaitent pas.
Le genre
d'identification sociale:
est pour moi le genre qu'on vous plaque sur la figure dans la
société.
Cette
donnée est croisée avec le genre d'attachement pour en
dégager des espaces d'oppressions/révoltes et aussi
d'invisibilité.
Le genre d'attachement est votre
autoproclamation du genre.
Je
précise que ce schéma n'a rien de scientifique mais
permet une base pour comprendre des « genres »
différents . Il est sous forme de pourcentage et il n'est en
aucun cas obligatoire d'atteindre 100% et il est aussi possible de
les dépasser.
Projection de
la vidéo
Réception
de l'exposition par les publics
Elle a principalement circulé dans des festivals
LG ( les autres lettres étant une caution politique) et dans
des festivals alternatifs queer, DIY....en (F)rance et la première
fut à Cineffable ( festival non mixte) lesbien et féministe.
Plutôt bien
accueillie avec des réactions diverses:
La haine et la croyance mystique en un ordre naturel
des choses qui conduit à des non discussions et à
m'octroyer le charmant statut de maladE mentalE ...Et ceci chez des
personnes qui ont elles mêmes été classifiées
psychiatriquement dans le DSM jusqu'en 1992....date d'ailleurs à
laquelle y entrait le transexualisme.
Une ouverture sur les questions de genres mais en
définissant le genre comme la construction sociale du sexe
biologique qui lui est défini par la nature. Ce qui de fait
nous conduit à parler à des niveaux différents
d'analyse et ne nous permet pas d'amorcer un dialogue .
Un
réel questionnement pour
certainEs et beaucoup d'informations totalement inconnues.
Un très bon
accueil chez des personnes non binaires..logique
un accueil mitigé
en milieu queer parisien qui est déjà une subculture
du milieu LGBT straight
Un accueil très
violent et une réinterpretation du projet par certaines
personnes transexuelles...le mot transphobie ayant ete prononcé..
Le bilan que j'en
tire:
j'ai traversé plusieurs phases car ce projet
s'est avéré lourd à porter et à défendre
en milieu et intra milieu.
Mais, je suis fièrE d'avoir réussi à
le monter , d'avoir fait se questionner et me questionner les gentEs
qui ont co participé ( les “modèles) et qui ont fait
vivre et évoluer le projet ,de les rencontrer, le montrer et
encore et toujours le faire circuler...
Le dogme de la différence des sexes est
tellement implanté dans l'habitus (f)rançais, qu'il
est quasi impossible d'être entendu et /ou d'en
débattre...peut être cela a t il un rapport avec
l'ominprésence de la psychanalyse en (f)rance..........
quand j'ai écrit ce projet qui a connu plusieurs
versions , la convergence des luttes était une évidence
pour moi dans le milieu militant TPG ( transpédégouines:
en opposition au LGBT straight) et je partais du principe que tout
le monde la souhaitait...............
c'était une belle illusion, le repli identitaire
et la fragmentation des luttes est une réalité qui me
révolte, surtout en ce moment, que je ne peux admettre mais
que je suis obligéE de reconnaître.......
ce qui m' a
poséE quelques questions:
qu'est
ce qui ne permet pas aujourd'hui de dépasser l'identitaire?
Quel est le point d'accroche qui maintient sujet et sujet politique
et sujet et identité dans une symbiose, fusion, et qui
empêche le sujet d'être?
Qu'est
ce qui empêche la prise de conscience de la nécessité
du dépassement identitaire alors qu'on observe très
bien la fragmentation des luttes et leur inefficacité?
Après les
critiques virulentes du Black Feminism aux féministes
blanches, hétérosexuelles, bourgeoises ( en gros à
un féminisme se réclamant universel) et l'apport des
théories queers en politique, comment peut on encore
aujourd'hui construire des sujets politiques qui soient pertinents
en les fondant sur une identité homogene prédéfinie,
fixe, immuable qui oblige le sujet à se confondre au sujet
politique par solidarité? Sinon il s'oppose.
Il y a
aujourd'hui dans le milieu LGBT straight, le milieu TPG, le milieu
queer des débats qui ne peuvent être posés sur la
table. Et pour l'instant toutes les tentatives pour le faire ont
échoué pour des raisons diverses.......
Je pense sincèrement
que “queer” pourrait être une identité
politique qui permette de constituer un sujet
politique et historique pertinent aujourd'hui:
Pour cela il y a un
postulat de base que je ne peux pas ne pas rappeler: Dans l'analyse
du système d'oppression, la classe/catégorie femme
occupe une place centrale.
Ce sujet politique
pour se constituer nécessite aussi deux consciences:
La conscience que
les oppressions spécifiques autour desquelles se construisent
les identités multiples sont des dommages collatéraux.
La conscience que
l'oppression n'a pas d'existence en dehors de la multiplicité
des oppressions spécifiques qu'elle engendre. C'est pour
cela que l'identité politique à construire ne peut se
faire qu'en dépassant toutes ces identités dans une
identité qui les exprime toutes historiquement sans jamais
pouvoir les épuiser toutes.
Cette identité
politique pourra peut etre alors constituer un sujet politique et
historique pertinent.